Catastrophe 1, 1983, 162 x 130 cm
Le rideau jaune,1984, 146 x 114 cm.
Pierres aux Masures
Le dessin dit-on est toute dévotion pour les petites choses... Il fouille dans les recoins, il plonge sa mine dans l'infime parcelle de terrain, il fait saillir aux ombres des gravats l'éclat irisé d'une petite pièce d'argent.
La peinture de Annie Barrat a cette qualité de pénétration sporadique d'espaces enfouis et oubliés. Ici le pinceau lisse le méplat d'un caillou, ailleurs la brosse fronce la surface granuleuse d'un pan de mur. Il s'agit à chaque fois d'un fourmillement de matière extrêmement secret qui couve à la surface sa charge tonale de brun, de bistre, de blond. C'est une peinture sans éclaboussure apparente ; tout se passe sous la main, à la commissure de lèvres confidentielles.
J'imagine la main heureuse du peintre qui se paye le luxe du repentir, une main qui peut reprendre son geste jusqu'à revenir sur ses propres traces. C'est bien sûr de cette dynamique du glissement,
du retour lové que dépend la " patine " du tableau. Les frottages, les gommages, l'estompage, jouent une pièce en multiples actes qui consiste à excéder le matériau, les possibles, jusqu'à l'apparition d'une précieuse texture.
C'est à ce stade seulement qu'il faut y voir un thème, un sujet, une image : des murs éboulés, des gravats, des fatras, des façades aux parements desquelles viennent perler les dernières retouches.
Des catastrophes aussi, superbes comme les failles obscures des marbres de Toscane.
Oui, dans l'œuvre de Annie Barrat revient toute une sensibilité minéralogique. Sans doute a-t-elle lu " l'écriture des pierres " de Roger Caillois. Un des chapitres de ce livre s'intitule " Pierres aux masures". On peut y lire au cœur des minéraux se forment parfois des précipices rembrunis, des
" paesine" panoramiques : comme ceux terribles de Annie Barrat…
Eric Fonteneau, avril 1984